Après quelques minutes de silence, Roseline se lève et se dirige vers le fond de la pièce. Elle y décroche une épaisse clé de métal gris suspendue à côté de la porte du jardin.
– La voici. C’est la clé du bonheur! Celle dont je vous ai parlé. Depuis mes huit ans, elle ne m’a jamais quittée.
La vieille dame tend la clé à Rosé-Marie qui la presse entre les mains. Les dessins du paneton s’inscrivent dans ses paumes. L’objet est magique, elle le pressent.
Mise en confiance par ces gestes d’amoureuse, Roseline commence à raconter.
– Je venais d’avoir huit ans. C’était l’été. Je vivais à Bruxelles avec mes parents. J’allais à l’école, j’étudiais bien, j’étais une petite fille très sage. Mon père partait souvent en voyage pour son journal; ma mère pleurait parfois, en cachette, le soir, dans l’obscurité du salon. Je faisais semblant de ne pas l’entendre pour ne pas lui faire honte. J’avais compris que les grandes personnes n’aiment pas montrer leurs émotions, surtout devant les enfants. Lorsque mon père rentrait, il y avait quelquefois des disputes avec des cris étouffés dans la cuisine. On m’envoyait dans ma chambre, en disant: «Ce n’est rien! Va dormir.
Ne t’occupe pas de cela, c’est une affaire entre grandes personnes.»
Je m’endormais, convaincue qu’il y avait des disputes dans toutes les familles et que cela ne changeait rien au cours des choses.
Cet été-là, une surprise m’attendait! Maman m’annonça que j’irais en vacances à la campagne chez mon oncle Nicolas et ma tante Berthe. J’accueillis la nouvelle avec joie car chez eux je pouvais jouer au jardin et jouir d’une liberté de mouvement impossible dans notre petit appartement.
Tout se passa comme prévu. Un séjour de rêve! Tante Berthe et oncle Nicolas me traitaient comme une petite princesse. Au petit-déjeuner, je pouvais choisir les biscuits ou les crèmes que je préférais. Tout le jour, ce n’était que plaisirs, jeux et découvertes. Et le soir, nous dînions joyeusement tous les trois sur la terrasse.
Mon moment préféré se situait au début de l’après-midi, lorsque ma tante faisait la sieste et que mon oncle m’emmenait au potager. Il détachait cette clé de la patère où elle était suspendue à côté des vêtements d’extérieur. J’enfilais un vieux tablier de Berthe dont Nicolas nouait les rubans en faisant deux fois le tour de ma taille et j’emportais mes outils: un petit arrosoir et un râteau.