. On lui donna la meilleure place à la lambrusque, et tous ces messieurs furent très galants… Il paraît même – ceci doit rester entre nous, Gringoire – qu’un jeune chamois à pelage noir eut la bonne fortune de plaire à Blanquette. Les deux amoureux s’égarèrent parmi le bois une heure ou deux, et si tu veux savoir ce qu’ils dirent, va le demander aux sources bavardes qui courent invisibles dans la mousse
[19].
Tout à coup le vent fraîchit. La montagne devint violette ; c’était le soir…
« Déjà ! » dit la petite chèvre, et elle s’arrêta fort étonnée. En bas, les champs étaient noyés de brume. Le clos de M. Seguin disparaissait dans le brouillard, et de la maisonnette on ne voyait plus que le toit avec un peu de fumée. Elle écouta les clochettes d’un troupeau qu’on ramenait, et se sentit l’âme toute triste… Un gerfaut, qui rentrait, la frôla de ses ailes en passant. Elle tressaillit… Puis ce fut un hurlement dans la montagne :
« Hou ! hou ! »
Elle pensa au loup, de tout le jour la folle n’y avait pas pensé[20]… Au même moment une trompe sonna bien loin dans la vallée. C’était ce bon M. Seguin qui tentait un dernier effort[21].
« Hou ! hou !… faisait le loup.
– Reviens ! reviens !… » criait la trompe.
Blanquette eut envie de revenir ; mais en se rappelant le pieu, la corde, la haie du clos, elle pensa que maintenant elle ne pouvait plus se faire à cette vie[22].
La trompe ne sonnait plus…
La chèvre entendit derrière elle un bruit de feuilles.
Elle se retourna et vit dans l’ombre deux oreilles courtes, toutes droites, avec deux yeux qui reluisaient… C’était le loup.
Enorme, immobile, il était assis là regardant la petite chèvre blanche et la dégustant par avance[23]. Comme il savait bien qu’il la mangerait, le loup ne se pressait pas.
« Ha ! ha ! la petite chèvre de M. Seguin » ; et il passa sa grosse langue rouge sur ses babines.
Blanquette se sentit perdue… Un moment, en se rappelant l’histoire de la vieille Renaude, qui s’était battue toute la nuit pour être mangée le matin, elle se dit qu’il vaudrait peut-être mieux se laisser manger tout de suite ; mais, s’étant ravisée, elle tomba en garde[24], la tête basse et la corne en avant, comme une brave chèvre de M. Seguin qu’elle était… Elle n’espérait pas de tuer le loup mais seulement elle voulait voir si elle pourrait tenir aussi longtemps que la Renaude.