Il convient de souligner immédiatement que toute l’œuvre, fort considérable, de Le Goffic est intimement liée à la géographie, l’histoire, le climat de sa terre natale de Bretagne.
Ô printemps de Bretagne, enchantement du monde!
Sourire virginal de la terre et des eaux!
C’est comme un miel épars dans la lumière blonde:
Viviane éveillée a repris ses fuseaux.
File, file l’argent des aubes aprilines!
File pour les landiers ta quenouille d’or fin!
De tes rubis. Charmeuse, habille les collines;
Ne fais qu’une émeraude avec la mer sans fin.
C’est assez qu’un refl et pris à tes doigts de flamme,
Une lueur ravie à ton ciel enchanté,
Descende jusqu’à nous pour rattacher notre âme
A l’âme du pays qu’a fleuri ta beauté!
La Bretagne de Charles Le Goffic correspond à la région de l’Armorique, un mot d’origine celte. «Armor» signifie «à la mer»: une terre peu accueillante, soumise aux vents marins, à la rare végétation surtout composée de bruyère s’étendant jusqu’à l’horizon. Mais comme dans les légendes locales, tout peut s’y métamorphoser en un clin d’œil. Au printemps et en automne les terrains arides, d’ordinaire chagrins, se couvrent soudain de l’or étincelant des ajoncs et des genêts. Comme l’écrit le poète: «Tout l’horizon flamboie. Magique incendie».
Et il est impossible d’évoquer sa terre natale sans parler de la mer. On l’entend constamment dans ses strophes, dans le rythme ondulant des rimes et des allitérations:
Quand, du sein de la mer profonde,
Comme un alcyon dans son nid,
L’Âme bretonne vint au monde
Dans son dur berceau de granit,
C’était un soir, un soir d’automne,
Sous un ciel bas, cerclé de fer,
Et sur la pauvre Âme bretonne
Pleurait le soir, chantait la mer.
Le Goffic a vécu à une époque où les fondements de la société, en apparence immuables, avaient été profondément ébranlés par la révolution française et, antérieurement, par la philosophie des Lumières qui avaient provoqué des bouleversements historiques pareils à des secousses sismiques. L’image de la mer n’avait pas échappé au changement. Jadis voie des argonautes, mystérieuse et fascinante, symbole de l’infini et source de vie, elle était devenue la Mecque des corps oisifs à la saison balnéaire.
Dans la préface de son anthologie Poètes de la mer, Charles Le Goffic cite Dostoïevski, perplexe face au phénomène de la migration saisonnière des bourgeois français vers les plages. Il s’interroge aussi et répond à sa propre question: «La mer? Peut-être, au fond, n’y a-t-il que les poètes et les artistes qui l’aiment d’un amour désintéressé – avec les enfants».