Les Pères grecs et latins connaissaient les versions grecques révisées et s’en sont servis pour leur doctrine, mais ils les ont aussi critiquées quand celles-ci s’opposaient à la tradition chrétienne. Car, en même temps, les réviseurs avaient retraduit autrement certains mots grecs de la LXX pour en limiter la portée messianique chrétienne. Par exemple, Aquila remplace «christos» (oint) par «eleimmenos»; « parthenos», vierge (cf. Is 7,14 cité par Matthieu 1,23), fut retraduit par « neanis», jeune fille, par Aquila et Theodotion, une traduction plus proche de l’almah hébraïque correspondante. Certains Pères comme Irénée ou Justin exprimeront leur mécontentement. Irénée fustige les deux réviseurs: « Elle n’est donc pas vraie, la version de certains traducteurs qui osent traduire ainsi l’Écriture […] détruisant […] l’économie divine et réduisant à néant le témoignage des prophètes, qui est l’œuvre de Dieu» (Contre les hérésies, III, 21, 1). Justin s’élève à l’égard de « ceux qui ne reconnaissent point exacte la traduction (des) soixante-dix vieillards […] et (qui) essayent de faire eux-mêmes leur traduction […] dénaturant les interprétations des anciens» (Dialogue avec Thryphon, §71 et 84).
Mais il n’en demeure pas moins que les Pères se sont montrés très libres vis-à-vis de ces versions grecques révisées et s’en sont indifféremment servies quand elles pouvaient appuyer leur doctrine.
C’est ce qu’a fait Saint Irénée: il va même mettre ensemble les deux variantes d’un seul texte à l’appui de sa christologie pour démontrer la divinité du Messie.
Il utilise un exemple significatif à cet égard, celui d’Isaïe qui annonce la naissance du Roi Messie, c’est-à-dire du roi israélite et en définitive celle du Christ. Le texte a deux variantes et Saint Irénée va les utiliser l’une et l’autre pour son commentaire.
Le TM dit: « Et son nom est appelé: Merveilleux conseiller, Dieu puissant, Père éternel, Prince de la paix». Ces quatre titres royaux traduisent les capacités du futur roi pour gouverner, faire la guerre et instaurer la paix pour le peuple, dont il est le père. Ces quatre titres du roi davidique sont curieusement « divinisants», même en hébreu.
La LXX ne connaît qu’un seul titre: « Et son nom est appelé l’Ange (= envoyé, messager) du grand Conseil… paix et santé à lui», ce qui traduit une influence royale hellénistique – c’est l’époque de la traduction en grec des prophètes – dans l’expression des qualités de ce futur roi issu de David.