Le lendemain, le prince retrouva la vieille femme au même endroit :
– Sors de ma forêt, lui cria-t-il ; je t’avais défendu d’y revenir.
Elle s’en alla sans mot dire : il continua à chasser et remplit sa gibecière de lapins et de lièvres.
Le troisième jour, il vit la bonne femme au même endroit :
– Ah ! pour le coup, s’écria-t-il, je vais te battre.
Il se mit à la frapper si fort qu’il la jeta par terre. Elle se releva et disparut. Le jeune prince continua à chasser dans la forêt, et il vit au milieu d’une clairière un lièvre assis sur son derrière et qui le regardait.
– Tiens, pensa-t-il, voici un lièvre qui n’est point farouche.
Il voulut le prendre ; mais le lièvre se leva, et il marchait du même pas que le chasseur, courant quand il courait, s’arrêtant quand il s’arrêtait. Le prince le poursuivit toute la journée sans pouvoir l’atteindre, et à la nuit, il le vit disparaître dans une caverne où il entra à sa suite. Alors parut devant lui un bonhomme qui avait les dents longues comme la main, et qui lui dit :
– Ce n’est plus à un lièvre ni à une bonne femme, c’est à moi que tu vas avoir affaire.
– Excusez-moi, répondit le jeune prince, je ne savais pas qui vous étiez.
– Je vais te tuer, dit l’homme aux grandes dents.
Mais le prince se mit tant à le supplier de le laisser vivre, qu’il se laissa toucher et lui dit :
– Je vais t’accorder la vie ; mais tu seras mon domestique et tu feras tout ce que je te commanderai.
Il le mena dans son écurie où il y avait deux chevaux : l’un, qui était gris, avait une auge pleine d’avoine ; l’autre, qui était une jument blanche, n’avait devant elle que des fagots.
– Tu auras soin, lui dit-il, de bien nourrir le cheval gris et de lui donner à boire l’eau de la claire fontaine ; pour la jument tu la laisseras sans manger, et tous les jours tu la frapperas à grands coups de trique ; je pars pour six mois, mais obéis-moi bien, ou gare à toi, car j’ai une cloche qui m’avertit de tout ce qui se passe ici.
L’homme partit ; le lendemain le prince soigna de son mieux le cheval gris et se mit à frapper la jument blanche.
– Pas si fort, pas si fort, lui disait-elle.
– Est-ce que les chevaux parlent ici ? demanda le jeune homme.
– Oui, répondit la jument, je parle et c’est pour ton bien ; écoute mes paroles, ou dans trois jours tu seras comme moi. J’ai été prise comme toi et changée en jument.